Poème de Sabine Sicaud

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Forêt de Compiègne


La solitude

- Barre titre

Solitude… Pour vous cela veut dire seul,

Pour moi – qui saura me comprendre ?

Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,

Vert platane, vert caly­canthe, vert tilleul.


Mot vert. Silence vert. Mains vertes

De grands arbres penchés, d’arbustes fous ;

Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,

Pieds de cèdres âgés où se concertent

Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes

De libel­lules sur l’eau verte…


Dans l’eau, reflets de marronniers,

D’ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes

Et de jeune cresson ; flaques dormantes

Et courants vifs où rament les » meuniers » ;

Rainettes à ressort et carpes vénérables ;

Martin-pêcheur… En mars, étoiles de pruniers,

De poiriers, de pommiers ; grappes d’érables.

En mai, la fête des ciguës,

Celle des boutons d’or : splen­deur des prés.

Clochers blancs des yuccas, lances aiguës

Et tiges douces, chèvre­feuille aux brins serrés,

Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,

Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,

L’invasion du lierre à petits flots lustrés

Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,

Les toits des pavillons vaine­ment retondus…

Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,

Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu

A la grive hési­tante ; vert royaume

Des merles en habit – royaume qui s’étend

Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome

En nappes d’émeraude et cordages flottants…

Lierre de cette allée au porche de lumière

Dont les platanes sécu­laires, chaque été,

Font une longue cathé­drale verte – lierre

De la grotte en rocaille où dorment abrités

Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;

Housse, que la pous­sière blanche de la ville

Givre à peine les soirs de très grand vent – pour moi,

Vert obligé des vieilles pierres,

Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits –


Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,

Un ermi­tage vert qui sent les bois, le foin,

Où les bruits dé la route arrivent d’assez loin

Pour n’être plus qu’une musique en demi-teintes.

Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,

Mais l’horizon tout rose et mauve qu’il rejoint

Transpose le voyage en couleurs de légende.

On regarde un instant vers ces trains qui s’en vont

Traînant leur barbe grise – et c’est vrai qu’ils répandent

Un peu de nostalgie au fil de l’été blond…


Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,

Les pigeons blancs s’exaltent, le cyprès

Est la tour enchantée où des notes s’effeuillent

Autour du rossi­gnol. Du pré,

Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,

Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes –

Et l’Ane et le Cheval de la Fable sont là

Et Chantecler se joue en grand gala

Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.

Au clair de l’eau, c’est l’éternel prodige

Du têtard de velours devenu crapaud d’or,

De la voix de cristal parmi les râpes neuves

D’innombrables grenouilles. Le chat dort.

Dickette-chien s’affaire – et sur leur tête pleuvent

Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.

S’il pleut vrai­ment, la pluie à pleins seaux ruisselantsChêne - Forêt de Compiègne

S’éparpille de même aux doigts verts qui l’arrêtent.


Un tilleul, des bambous. L’abri vert du poète,

Du vert, comprenez-vous ? Pour qu’aux vieilles maisons

Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.

Douceur de l’arbre, de la mousse, du gazon…

Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l’heure qui passe,

Est-il rien de vivant plus vivant qu’un jardin,

De plus mysté­rieux, parfumé, dru, tenace,

Et peuplé – si peuplé qu’il arrive soudain

Qu’on y discourt avec mille petits génies

Sortis l’on ne sait d’où, comme chez Aladin.


Un mot vert… Qui dira la fraî­cheur infinie

D’un mot couleur de sève et de source et de l’air

Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,

Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,

Mais pour soi, fami­lier, si proche, tendre, vert

Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?…


Sabine SICAUD

- Barre fin

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